Incertitudes à Paris
La Seine est sous le pont Saint-Michel, limpide…
Je songe à d’autres soirs, penché sur d’autres eaux.
Au printemps de ma vie, ténébreux et morbide ;
A ce qu’il eut d’horrible ; à ce qu’il eut de beau.
Je songe à ma vallée, à ma Cité dormante,
Aux grands lacs de verdure hérissés par le vent.
Je songe à ma colline, à la houle écumante
De mon Rhône, où j’allais méditer bien souvent.
Ô Songes d’une époque étrange et maladive !
O rêves de ma vie tant de fois ressassés !
Prudence, humilité, charité excessive !
O l’orgueil de ma foi que rien a pu chasser !…
J’ai tout connu là-bas, l’hypocrisie, la haine.
J’ai tout vu, tout senti, calme et le front serein.
Et j’ai connu l’amour, et j’ai brisé ses chaînes,
Pour venir en ces lieux gagner mes lendemains.
Impasse de Paris ! Mordante incertitude
D’un millier d’audacieux servant d’âpres desseins…
Millier d’êtres traqués par une solitude
Plus dure que l’ennui, ou la honte, ou la faim.
Je suis seul à Paris, dans l’ordre et le silence.
Or, qui sait si jamais, avant que d’en jouir,
Les fruits dont j’ai porté si longtemps la semence,
En ce sol délavé sauront s’épanouir ?