Les yeux
Chers yeux si beaux qui cherchez un visage,
Vous, si lointains, cachés par d'autres âges,
Apparaissant et puis disparaissant,
Ah! protégés de vos cils seulement
Et d'un léger battement de paupières,
Sous le tonnerre et les célestes pierres
Chers yeux livrés aux tristes éléments
Que voulez-vous de moi, de quelle sorte
Puis-je montrer, derrière mille portes,
Que je suis prêt à vous porter secours,
Moi qui ne suis parmi les hommes
Qu'un homme de plus ou de moins
Tant le vivant ressemble au mort
Et l'arbre à l'ombre qui le tient
Et le jour, toujours poursuivi,
A la voleuse de nuit.
Jules Supervielle, Le forçat innocent.