Par la racine des choses
Je ne saurais dire tous ces instants qui ne ressemblent jamais à ce qui avait été avant. Il m'arrive parfois de regretter une main sur cette hanche, ou ce mot dans l'oreille. Je me souviens encore de cet amour qui ne ressemblera jamais à aucun autre amour ; le goût des territoires vierges, encore inattaqués, de ces berges innocentes et de cette herbe à peine effleurée où il me faisait l'amour. Non, plus jamais ces courbes n'auront la naïve tendresse de mon corps en vallons, et peut-être même trouveras-tu quelques étendues de terres usées. Cet amour persiste et surgit, parfois, comme un écho mal éteint. Et pourtant. Si mon corps maintes fois brûlé, fusillé, torturé, décapé n'a plus la confiance de mes premières vallées, si mes mains asséchées, tordues, gangrénées n'ont plus la soumise tendresse de mes amours en fleurs, mon coeur lui s'est enraciné. Ancré, fixé, enraciné de milles trèfles à quatre feuilles, de chiendent, de tubercules enliées jusqu'à la moelle. Et j'aimerais que tu aimes ces mauvaises herbes des beaux jours, que je puisse te boire à la racine. J'aimerais que tu saches cet amour retourné et érodé. J'aimerais que tu saches cet amour un peu vieilli par les guerres d'un autre temps, d'un autre traité. Et j'aimerais surtout user mon corps jusqu'à la corde, l'user jusqu'à la dernière couche de terre, j'aimerais qu'on puisse l'user ensemble dans une de ces belles tentatives (peut-être désespérée, peut-être perdue d'avance) que l'on s'accorde lorsque nos mains bavardent en silence.