Grand-mère, tu te souviens combien j'aimais aller me cacher dans les framboisiers quand j'étais petite; j'y restais des heures. Tu savais qu'il y avait comme une quatrième dimension qui m'attirait dans ce coin de ton jardin. Les autres pouvaient penser que j'étais passive, timide, renfermée, à m'isoler ainsi. Mais toi, tu savais que je découvrais le vaste monde, dans les framboisiers... Je me souviens des odeurs, celle de la framboise, mélangée au frais parfums de lessive, lorsque les draps que tu mettais sécher s'agitaient et venaient caresser mon visage, comme pour m'encourager dans mon exploration. Il y avait un peu de toi dans ce linge: de la fraîcheur et de la lumière. J'aimais le soleil grand-mère et j'enviais les lézards qui prenaient des pauses sur les grosses pierres plates près des orties. Je les voyais se gonfler de chaleur puis partir, dans un geste précipité, se cacher parce que je les avais effrayés en voulant trop les approcher. Et les escargots! Tu te souviens: je collectionnais les jaunes. Je contemplais longuement la spirale de leur coquille en la parcourant avec mon doigt dans un mouvement d'infini. Oui, grand-mère, sous les framboisiers j'ai aussi touché l'infini. Tu comprends pourquoi les jeux des garçons ne m'intéressaient pas: moi, j'aimais les escargots sous les framboisiers.
Caro