voici un texte inspiré d'un livre : "le calife désabusé"
ceci est juste un petit hommage à son auteur : Dominique Reznikoff
Le calife
Ce soir, le soleil s'est couché sur le palais ;
Couché sur des coussins de brocart et de soie,
Dans le secret d'une chambre isolée,
Le calife parle pour la dernière fois.
Il chuchote d'une voix basse et lente
Pour l'oreille de Djafar le scribe à genoux.
Djafar, lui, transcrit d'une plume diligente
Toute la vie d'un homme dans tous ses remous.
Ecris Djafar, écris, il reste peu de temps ;
Allah, béni soit son nom, m'appelle et m'attend.
Ecris, Djafar, écris, déjà je sens sur moi l'ombre de la nuit.
Ecris ce que je fus, écris ce que je suis...
Ce n'est pas un testament, juste un récit...
N'enjolive et ne retranche rien, sois précis ;
Ainsi, dans très longtemps, tous ceux qui te liront
Sauront qui je fus et, qui sait, même, comprendront ;
Dis leur que je fus grand, peut-être plus que mon père ;
Que j'ai aimé la paix et l'étude plus que la guerre ;
Que mon royaume fût beau dans ses frontières,
Que , malgré tout mon pouvoir, moi aussi, j'ai souffert.
Ecris que j'ai aimé Khediya plus que moi même,
Que ce fût un bonheur la seule fois où elle dit "El Hakem"
Ecris que j'ai connu la douleur et les larmes,
Que pour sauver mon fils, j'aurais vendu mon âme.
Ecris Djafar, que je fus tendre et sans pitié,
Toujours à la gloire du royaume occupé.
Ecris encore Djafar que j'ai connu des peines
Bien plus que des heures de bonheur mais que la haine,
Jamais, n'a été la maîtresse de mon coeur ;
Que j'ai rendu la justice toujours sans rancoeur.
Que j'ai possédé, caressé les femmes les plus belles,
De brunes houris en blondes jouvencelles,
Ecris Djafar qu'elles furent heureuses en mon harem,
Même si, à aucune, je n'ai dit "je t'aime".
Ecris que Subh la Vasconne sut me séduire,
Que j'aurais donné ma main pour un de ses sourires
Et que, pourtant, c'est elle qui allait me trahir ;
Que mon ami Abi Amir, la fit défaillir...
écris Djafar ; je compte ce soir mes jours de bonheur
et je n'en trouve que huit au fond de mon coeur.
Ecris encore Djafar qu'à l'instant où je me meurs,
Moi, El Hakem, je suis sans colère et sans peur.