Les profondeurs
Je me souviens encore de tes yeux hésitants, cherchant refuge dans un archipel dont je ne connaissais pas encore le nom. Je me rappelle aussi les avoir vus comme des hameçons tentant d’attraper désespérément l’abîme. C’était l’époque où tu ne savais pas encore qu’on ne peut pas s’attacher les abysses. Tes mains frénétiques, je m’en souviens, tes joues rouges et explosives, je m’en souviens, tes cheveux suspendus aussi, je m’en souviens, mais c’est tes pupilles hameçonneuses (oh comme je me souviens) qui m’ont trainée, drainée vers toi. Dès le premier soir, j’ai eu horriblement peur de toi. J’avais ce sentiment d’être ce poisson qui se rapproche d’une lumière hypnotique et aveuglante, m’approchant ainsi d’un peu trop près d’une mâchoire meurtrière. Cette lumière, je l’ai longuement suivie, la cherchant parfois dans l’ombre, car nombreuses sont ces fois où elle disparaissait soudainement, comme le fait si souvent la lumière fugace. J’ai longtemps eu peur de toi, mon amour, de ce que j’aurais pu voir s’il fallut que je m’approche trop près de ta lumière ; peut-être n’aurais-je pas reconnu ce visage qui était mien. Puis, vint ce jour où je compris. Je n’avais plus peur ; Tu es de ces hommes, si rares, qui nous frappent de leur lumière et qui se nourrissent de nos ombres; de ceux qui oublient parfois de monter à la surface et qui choisissent les profondeurs; tu es la lumière dans les eaux troubles.