Après "in-utero" et "Ab imo pectore" voici le troisième et dernier (enfin je crois ) volet de cette histoire :
Il volait et sentait déjà sur sa peau les embruns accueillants aux odeurs de la capitale. Il volait et se sentait majestueux. Il s’était vécu en vilain petit canard mais à cette seconde, il était devenu un cygne d'une blancheur éclatante, volant au-dessus des eaux...
Tranquille, désormais libre, son esprit ressassait cette journée ensoleillée, quelques mois plus tôt en juin....
Ce jour-là avait commencé par une insomnie. Il était trois heures et Mickael ne dormait pas. Il pensait à sa vie avec Isa, une boule au ventre. Leur rapport s'était distendu ces derniers temps, sans que rien ne soit vraiment perceptible. Il avait songé plusieurs fois à en parler à la jeune femme mais quoi lui dire? Ce qu'il ressentait, il ne savait pas mettre de mots dessus. D’ailleurs, il n'était pas sûr de ce qu'il ressentait...
Il y avait ces derniers temps dans l'attitude de sa femme une sorte d'absence de chaleur, doublée d'une angoisse qui rendait les yeux d'Isa vides alors même que son visage restait beau et rayonnant.
C'était ça, une absence de chaleur et de désir pour lui...
Isa dormait nue à côté de lui et il sentait son odeur sensuelle. Il avait envie d'elle mais surtout, depuis de nombreux mois, il désirait qu'elle ait envie de lui, spontanément... Il déplaça le drap avec beaucoup de délicatesse et ses lèvres effleurèrent la peau de la jeune femme, embrassant un téton, baisant une hanche, soufflant sur une cuisse. Sa bouche vint rencontrer la toison de la jeune femme et enivré de saveurs de miel, il plongea sa langue avec une infinie douceur entre les jambes de la jeune femme qui, dans son sommeil, se mit à soupirer.
Le téléphone sonna, longtemps, et réveilla Isa, qui finit par décrocher, éberluée de découvrir son mari affairé entre ses cuisses... Elle n'arrivait pas à parler à sa collègue de la maternité Port Royal qui l'appelait pour une urgence et cela amusa Mickael qui intensifia ses caresses.
Ce matin-là, ils firent l'amour tendrement mais la jeune femme n'était déjà plus là. Son esprit était déjà à la maternité, auprès d'une mère en difficulté. Non elle n'était déjà plus avec lui quand il la pénétra. Elle gémissait et l'encourageait mais Mickael avait remarqué son regard absent. Il remarqua aussi les traces de piqure qu'elle avait entre les orteils, et cela finit de lui couper tout désir. Il fit semblant de jouir et laissa partir la jeune femme...
Il se sentait terriblement peiné et frustré. Une fois de plus ces derniers mois, elle avait fait l'amour avec lui, à sa demande, sans résister. Mais elle n'était pas à l'initiative, elle ne l'était plus. jamais. Cette fois encore, elle s’était juste laissée faire. Il aimait pourtant qu’elle lui fasse l’amour, il adorait ça même et ces derniers mois, il se sentait abandonné.
Mickael était d’un physique quelconque. Il le savait. Il l'avait toujours su. Du plus loin qu'il se souvienne, le visage qu'il apercevait dans le miroir lui semblait sans attrait, presque transparent... Il avait passé sa vie à dissimuler ce complexe et il savait que dans ses rapports aux autres, il devait déployer des stratégies incroyables pour que l'on ne remarque pas son physique. Il avait utilisé une énergie folle à chercher ce qui pouvait être mis en avant chez lui, son intelligence, sa culture, sa sympathie, pour vivre dans cette société d'image. Il écrivait, peignait, philosophait, avait du talent mais les femmes, sans le fuir vraiment, l’avaient toujours ignoré.
C'est Isabelle qui avait vu ce qu'il y avait de remarquable et de plus beau en lui: sa gentillesse.
C’est elle qui avait perçu en lui ce don d’abnégation qui faisait de lui un si doux compagnon.
Elle l'avait désiré pour ce qu'il était profondément. Elle l'avait désiré à lui faire oublier son complexe... Elle le réveillait parfois en le caressant, sentant son désir gonfler entre ses doigts. Elle n'hésitait jamais depuis qu'ils vivaient ensemble, à interrompre brusquement ce qu'elle faisait pour entreprendre Mickael pour qu'ils fassent l'amour ou à s'agenouiller devant lui au moment le plus inattendu pour une furtive caresse...
En quelques années elle avait rendu Mickael beau à ses propres yeux.
Aujourd'hui, abandonné, il redevenait laid. Ni sa gentillesse ni aucun des artifices qu’il pouvait déployer n’y changeaient rien : ces derniers temps, Isa était ailleurs.
Il l’avait un temps soupçonné d’avoir un amant, un jeune homme prénommé Phil avec qui elle passait du temps. Elle l’avait invité quelques fois à la maison et à cette occasion Mickael avait perçu chez le jeune homme une homosexualité refoulée qui, d’une certaine façon, l’avait rassuré.
Ce matin-là, Mickael sortit et se mit à déambuler sur les trottoirs de la capitale, sans autre but que de se distraire de son angoisse. Son métier d’écrivain lui laissait du temps libre et offrait un alibi à son oisiveté. Il descendit vers la porte Dorée et prit à gauche vers le boulevard des Maréchaux.
Perdu dans ses pensées, il dépassa une camionnette garée sur la contre-allée, au volant de laquelle une femme lui souriait. C’était une femme d’environ 40 ans dont un sourire un peu fané éclairait le beau visage. Elle était blonde, vêtue court, joliment maquillée, un brin vulgaire et ses cheveux rayonnaient par contraste avec le caraco rose qui dissimulait à grand-peine une poitrine opulente.
C’était une prostituée qui officiait là depuis quelques mois. Mickael se surprit à s’approcher d’elle, à échanger les quelques mots d’usage et dans un état second, se retrouva à l’intérieur. Mickael était gauche, il n’avait jamais su y faire avec les femmes et même là, dans un rapport de client, il ne savait pas quoi dire, ni comment se comporter. La femme s’en rendit compte et avec son regard lumineux, elle lui dit qu’elle s’appelait Marion, qu’il pouvait se détendre, s’allonger, comme chez le médecin.
Mickael eut un rire intérieur devant la platitude du propos. Mais que faisait-il là, dans cette camionnette tapissée de posters porno, où un bâton d’encens brulait dans un coin, pour dissimuler les odeurs persistantes de sueur et de pollen. Que faisait-il là ? Avait-il à se prouver qu’une femme pouvait le désirer, même moyennant finance ? Voulait-il se venger de cette distance que prenait sa femme, de ce couple heureux qu’elle était en train de détruire ? Pensait-il pouvoir redevenir beau, ici, dans cette camionnette ?
Son sexe disparut en une fois dans la bouche de Marion.
Trompait-il sa femme avec cette professionnelle ou se débarrassait-il seulement de cette frustration de vivre sans être désiré ? Ce rapport furtif et sans passion était-il une trahison ? Pourquoi était-il là ? Sans doute avait-il besoin qu’une femme soit tout à lui, même un instant, même en la payant.
Peut-être sa gentillesse légendaire lui faisait-elle détruire lui-même son couple, pour que ce ne soit pas sa faute à elle, son Isa... .
Il se mit à pleurer à chaudes larmes et la prostituée voulut s’arrêter, pour lui demander si tout allait bien mais Mickael lui maintint la tête et jouit, tout en pleurant.
Il se rhabilla sans regarder la fille.
Elle voyait qu’il n’allait pas bien. Elle aurait voulu le prendre dans ses bras, le réconforter. Ne rien dire, juste le serrer contre son coeur. Mais ce jour-là Marion attendait un autre homme, Phil, qui lui apporterait un peu de soulagement en poudre.
Si Marion l’avait pris dans ses bras, Mickael aurait-il passé le reste de la journée à se saouler seul ? Aurait-il passé le reste de sa journée à se traiter de salaud à se maudire, à chercher dans l’histoire de son couple si vraiment les choses allaient si mal et à se reprocher de ne pas avoir questionné Isa sur ses marques de piqure le matin plutôt que de stigmatiser sa distance pour s’abandonner dans la bouche d’une autre.
Marion l’avait simplement laissé partir ce jour ensoleillé de Juin, et aujourd’hui Mickael avait pris son envol du pont du Garigliano.
Avant de s’écraser dans l’eau froide de la Seine, il pensa une dernière fois à cette journée où il avait trompé la seule femme qu’il aimait. Il pensa au coup de fil, le soir, qui lui avait annoncé la mort de sa chère Isa d’une overdose. Ce même coup de fil qui lui avait appris que le présumé dealer, Phil, était mort lui aussi à quelques mètres de là, fauché par une voiture alors qu’il sortait de la ruelle en scooter.
Mickael avait vécu sa vie en vilain petit canard mais à cette seconde, enfin, il devenait un cygne d'une blancheur éclatante, volant au-dessus des eaux...