Les histoires de mon village - le petit accident
Un tranquille vendredi matin, dernier jour du mois d'octobre, Monsieur Cardoso, l'épicier, était assis dans une chaise en plastique sur le trottoir qui jouxte son épicerie ; il regardait Monsieur Carlos qui réparait une crevaison dans un des pneus d'une voiture qui était garée au coin de la rue 24. De l'autre côté de l'étroite avenue, Monsieur Preguinho peignait une glacière, lui aussi sur le trottoir avoisinant la façade de son atelier. Monsieur le barbier Costa, dont le salon de coiffure est dans le voisinage de l'atelier du serrurier Monsieur Constantinho, coupait les cheveux d'un client.
Monsieur Constantinho, le serrurier, angoissé et couvert de sueur, accroupi, coupait à l'aide d'un marteau et d'un burin des morceaux de fer d'un petit train rouillé sous le regard attentif du propriétaire des grilles qu'il réparait.
Il était presque onze heures du matin, lorsqu'une chose totalement imprévue était arrivée : sans raison apparente, un chien noir s'était abattu de tout son poids sur un petit chien boiteux et scabieux, pour le molester au beau milieu de l'avenue, et un autobus avait failli les renverser tous les deux. Après que Monsieur Constantinho eut fini de se débattre avec le fer qu'il découpait, un épervier, dans le ciel ensoleillé et d'un bleu pur et sans nuage, survolait à la recherche d'une proie dans les cours des maisons du voisinage. quand passa doucement une jolie femme devant la porte de Monsieur Constantinho, elle le salua avec le plus beau des sourires sur ses lèvres un peu charnues. Comme un automate, le serrurier d'un geste machinal posa ses grands yeux sur le beau visage de la jolie femme qui souriait, et sans se rendre compte que le marteau allait heurter l'auriculaire de sa main gauche posé vaguement sur le train qu'il dépeçait. Une très grande douleur s'inscrit sur son visage, avec un cri plus assourdissant et plus lugubre qu'un loup affamé dans la nuit. Il contempla avec peine son petit doigt qui profusément tachait de sang le sol pendant que lui faisait, de gauche à droite, les cent pas.
Quelques minutes après, il s'était calmé un peu ; pour étancher le sang, il enroula son petit doigt blessé avec un morceau de tissu qu'il avait déchiré rageusement d'une vieille chemise. Ainsi fait, il n'avait d'autre choix que terminer son travail. Pendant qu'il soudait les morceaux de fer coupé du petit train aux grilles qu'il continuait à réparer, il ordonna au propriétaire d'aller chercher une camionnette pour les transporter. Malgré la douleur immense qu'il avait au doigt gauche, il avait pris du temps pour aider le propriétaire à transporter les grilles jusqu'à l'arrière train de la camionnette rouge de l’ami qui était venu avec lui pour se charger du transport. Satisfait et très content, le propriétaire des grilles l'avait payé et il s'en alla en compagnie de son ami qui lui aussi souriait au volant de sa camionnette rouge. L'argent dans sa poche, fruit du sacrifice consenti et la conscience tranquille, il était resté seul avec son douloureux doigt gauche encore enroulé dans le morceau de tissu. Malgré tout, il était content lui aussi d'avoir accompli sa mission.