Elle était devenue putain par résignation
Et très sage philosophe en cette triste dérive
Pour les bien honnêtes gens une abomination
Mais la vérole l’expédia sur d’autres rives
Là, Charon lui lance, infernal croque-mort :
«Avant d’embarquer, il te faut remplir ma bourse ;
Pour traverser ce marais, rejoindre les morts
Donne-moi déjà mon obole pour la course !»
«Hé, je n’ai plus la moindre pièce : les loueurs d’entrailles,
Les guérisseurs, les charlatans m’ont dépouillée de tout…»
«Alors tant pis pour toi, tel est ton destin : que tu ailles
Te lamenter sur ces côtes brumeuses, voilà tout !»
«Non, reste ! écoute et tu seras satisfait ;
Vrai, je ne suis qu’une pute et ma main est vide
Mais le sale bidochard qui me tarifait
Jamais ne m’arracha une pierre limpide
Un diamant si étincelant d’une eau sept fois pure
Dont les facettes luisent d’une clarté… souveraine
Car elles ont cristallisé dedans la pire ordure
Ces quelques riens de pureté qui nous rassérènent
Larme minérale aux pouvoirs ensorceleurs
Sa dureté affranchit de tous les tourments…
Cet indomptable ignoré des bas receleurs
C’est mon âme, plus mûre que tous diamants
Ah, je vivais dans la perversion, moi la maudite ;
Tous me bafouaient, tous m’humiliaient mais sous l’écorce,
Là, se forgeait une maturité pour eux proscrite
Et qui rayonne à tout jamais d’une invincible force
Seul l’exclu d’entre deux Mondes, le Transgresseur
Peut la saisir et peut la garder, rutilante…»
Depuis les Ombres s’écartent du Passeur :
Ainsi révélée, sa barque les épouvante…
Janvier 1990.
Saint-Nizier.