Cher songe, ma belle amie,
Vous écrire me manque, j'ai tant de choses à vous dire, tant d'émotions à partager... Mais vous êtes si absente et si muette, même si je vous vois dans le cœur de chaque femme...
Le soleil arrogant de ce jour a donné à chacune de vos apparitions quelque chose de plus passionnel, de plus fort et de plus grand qu’à l’accoutumée. Vous étiez tantôt ces yeux qui se baissaient pour éviter les miens, tantôt ces joues qui s’enflammaient de pudeur pour un compliment à peine audible…
Oui, belle parmi les belles, femme des femmes, vous étiez en ce jour derrière chaque centimètre de peau que l’audace de la jeunesse au printemps voulait bien découvrir, et je me disais en vous croisant qu’il devait être doux de boire le lait de votre blancheur d’hivers…
Cher songe, vous étiez chacune de celles dont le tissu masquait à grand peine le divin temple, derrière l’assurance prometteuse d’une dentelle furtive, et mes pensées gambadaient de baisés fougueux en chevauchées oniriques…
Vaporeuse pensée, vous habitez depuis si longtemps mon âme et mes pensées que je peux sans peine vous détailler : vous êtes brune, blonde et rousse à la fois, vos yeux sont parfois bleus, ou noirs, ou quelques fois verts… Vous êtes tour à tour grande, altière, petite, gourmande, sûre de vous et timide… Vous êtes toutes celles que je croise chaque jour et aucune de celles-là...
Je vous perçois assise, jambes sagement croisées sous un austère bureau, emplissant de votre joie de vivre de froids formulaires pour une quelconque administration.. Ou bien faisant la classe, soulageant les maux de quelques malades, ou au volant d’un engin démesuré, forçant l’admiration de vos collègues...
Je vous imagine rentrer chez vous arassée et parcours de la pulpe de mes doigts le sillon d’une ride arrivée trop tôt, ou celui plus clair que la nature laisse en cadeau aux mères quand elles ont porté un enfant… Vous soupirez à la vue de ces signes que le temps vous offre, et aimeriez les dissimuler, vous êtes si fragile... Je vous trouve si merveilleuse…
Bel objet de mes désirs, quand le soir approche et que je pose la plume, je porte le fol espoir de m’assoupir et qu’un instant vous poussiez la porte de mes rêves, que vous vous asseyez là, face à moi, sans un mot, votre main dans la mienne, et que tout à ma contemplation de votre beau visage, je puisse me dire enfin :
« Vous êtes là, la vie est si belle »…