Ils sont arrivés ce soir, les gens du voyage,
Ils transportent tant de rêves dans leurs roulottes
Par les villes et les bourgs, humbles Dons Quichottes…
Ah, demain, il y aura la fête au village !
Demain… et pourtant, déjà, les badauds affluent
Car quelle rareté, un cirque et ses promesses !
On se bouscule autour du chapiteau qu’ils dressent,
La vie, la routine sont soudain suspendues
Et pendant le spectacle, tous sont emportés
Par la sournoise fauverie et ses dresseurs,
Par les chevaux altiers et genoufléchisseurs,
Par les dindonesques clowns enredingotés
Mais voici que s’avance un petit funambule ;
Nimbé du halo d’un projecteur, il oscile,
Vétu d’un maillot blanc, silhouette gracile,
Fin hiéroglyphe en clair-obscur, il ondule
Ceux qui narguent l’abîme dessus leurs trapèzes,
Tout là-haut, persiflent ce petit poltronard,
Ce fadasse godichon et les sensiblards
Qui à ses doux baguenaudages se complaisent
Sa frêlerie, il la leur laisse blasphémer ;
Seul, si seul, il cisèle comme des cantiques
Ses mille et une poésies acrobatiques ;
C’est peut-être son seul moyen pour être aimé…
Alors, trop rongés de jalousie vipérine,
Ils coupent son fil, ces salopards, ces arsouilles,
Et le délicat funambule s’écrabouille
Personne ne l’a pleuré. Qui sait, Colombine ?
1980, Paris.
Décembre 1989, Novembre 1992, Mars 1994.
Lyon.