edito 2 : INDIVIS DUALITE

INDIVIS DUALITE

Une année a passé déjà, depuis le premier éditorial DE FORS FORUM AU FORUM, par lequel nous avions été en quelque sorte intronisés Sous la Plume. Quelques uns viennent encore de nous rejoindre, mais pour tous, l’heure est venue de faire un nouveau bilan sur notre cheminement ensemble. Les oisillons ont pris du plumage. Et plutôt que dresser un inventaire qui serait nécessairement incomplet et superficiel, nous allons plutôt nous attacher à en développer un seul point essentiel.

A la lecture de tout ce qui fut écrit pendant cette année, et qui traduisait nos émotions et nos pensées, un point marquant m’apparaît : il me semble qu’il y a eu pour chacun un gros travail de fait sur l’ego, et une réflexion approfondie qui a été conduite sur la relation aux autres dans notre vie de tous les jours.

Certes, les exhortations à se prémunir de l’orgueil ne manquent pas autour de nous. Mais comment faire ? Il est parfois recommandé d’éliminer l’ego. Par exemple en évitant de commencer ses phrases par « je » ou « moi », de mettre en avant son individualité. Mais la technique a ses limites, et demeure surtout destinée à nous faire prendre conscience d’excès évidents. Elle ne doit pas être systématisée. Car à l’inverse, si on commence sa phrase par « je », on peut percevoir que c’est un signal : « attention, ce que je vais dire ne représente que ma compréhension personnelle limitée ». C’est donc une preuve de modestie. Alors que si on utilise une formule à la troisième personne, on impose à l’assistance son opinion personnelle comme une vérité universelle, ce qui est bien plus prétentieux. Et puis, même si nous sommes dans une ère dite de communication, se vêtir d’un habit extérieur d’humilité ne suffit pas à masquer un corps d’orgueil. Cela ne saurait se substituer à une véritable disposition. Mais cela peut jouer, un peu… ne serait-ce qu’en nous obligeant à prendre en compte (en s’astreignant un temps à cette démarche) qu’on s’adresse aux autres.

Car là est bien le nœud du problème, la relation à l’autre. Quelqu’un avait gravé sur sa porte d’entrée cette mise en garde : «Pas plus bête qu’un autre mais pourtant tout autant». Cela témoignait en tout cas d’une certaine introspection, et d’une bonne appréciation de nos individualités, dans l’unité qui les relie dans leur diversité. Un autre avait eu ce mot d’esprit : «pour dépasser l’ego, encore faut-il en avoir un». Ce qui montrait que tout n’est pas mauvais dans l’ego. Il n’est pas judicieux de lutter contre quelque chose, sans chercher d’abord à le comprendre. L’ego n’est ni bon ni mauvais en soi, c’est son manque de compréhension et de maîtrise qui est préjudiciable. Le connaître c’est le maintenir à sa bonne place, sans excès dans un sens ou dans l’autre.
　

Ce qui fait que tout n’est pas mauvais non plus dans l’égoïsme. D’abord, c’est un gardien salutaire contre les égoïsmes excessifs des autres. Si nous sortions dans la rue, et là, abdiquant tout égoïsme, si nous nous pliions à toutes les exigences de la première personne rencontrée, négligeant tout ce qui animait notre vie individuelle jusqu’alors, nous ne serions pas certains de devenir ainsi socialement ou humainement plus utiles ! Et puis, il y a aussi une sorte « d’égoïsme sacré » qui veut que l’on commence parfois par se consacrer à son propre épanouissement, pour mieux pouvoir aider les autres ensuite. Mais là aussi, c’est une affaire d’équilibre, et sans doute l’un ne va-t-il pas sans l’autre…

Nous devons avoir tout d’abord la lucidité de constater que l’orgueil est une des plus grandes forces qui nous anime, tout au moins quantitativement, et cela même lorsqu’il se recèle dans des actions où on ne le soupçonnerait pas, même les plus altruistes. Cette force n’est surpassée, mais sur un plan plus qualitatif, que par les aspects les plus élevés de l’amour infini. Il n’est ni envisageable ni souhaitable de vouloir supprimer tout orgueil, ce qui ne ferait qu’aboutir à quelque forme grave de dépression. Comme à l’inverse il n’est pas souhaitable d’exalter l’orgueil à son paroxysme, bien que cela puisse donner alors une motivation et une énergie considérable ; beaucoup s’y sont brûlés les ailes, et les anciens philosophes dans leur langage alchimique appelaient cela «être brûlé par les vapeurs acides du lion». Une appréciation juste et honnête, face à nous mêmes, de nos rapports avec les autres, devrait suffire à maintenir l’orgueil à son niveau utile équilibré, sans chercher à le contrer ni à l’exalter.

L’humilité de son côté ne doit pas servir d’excuse à l’inaction. Celui qui se sent incapable est enclin à ne rien tenter. Pourquoi donc exhorter à l’humilité ? Un dogme n’a de valeur que par son contenu, non en tant que tel, sinon un tel dogme n’aurait pas plus de valeur que son inverse. Le dogme «soyez humbles» n’aurait pas plus de valeur que celui «soyez orgueilleux» ! Naturellement, les organisations humaines, civiles ou religieuses, pour leur bon fonctionnement, ont tendance à coopter les dogmes qui inclinent à une certaine docilité et harmonie du groupe. Mais au delà de cela, il y a sans doute une raison plus profonde. Le discours ambiant n’est pas seulement social ou religieux ; même des sages comme Nicolas Valois l’ont affirmé dans son célèbre: «Les philosophes ont leur échelle et l'humilité est la porte de leur jardin».

En faisant donc abstraction de toute acculturation sociale, ce qui n’est pas facile, nous pouvons nous demander quel serait vraiment l’intérêt de l’humilité pour notre épanouissement ? C’est la réponse la plus simple qui est probablement la plus vraie : si nous nous persuadons que nous en savons plus que les autres, que nous sommes supérieurs, nous nous fermons alors par nous-mêmes à toute occasion de progrès et stoppons notre épanouissement, notre évolution. Au terme d’humilité, un peu flagellant, il faudrait presque substituer le terme plus positif d’ouverture. D’ailleurs, c’est bien écrit dans la citation précédente: l’humilité est une porte, une ouverture. Vers quoi? Le jardin. Le jardin signifie les bienfaits de la nature : les fruits, les fleurs, la beauté… Et s’agissant du jardin des Philosophes, ce sont les bienfaits de l’avancement dans la Connaissance…
　
　
Nous n’avons surtout pas à nous enorgueillir de nos connaissances présentes, si nous voulons qu’elles soient surpassées par nos connaissances de demain. Et derrière toute compréhension, nous pouvons nous dire que se cache une compréhension d’un degré plus élevé encore. Ainsi les questions de l’ego, de l’égoïsme et de l’orgueil viennent de l’incompréhension de la question de l’individualité. L’incompréhension de la question de l’individualité provient de la confusion de la dualisation à l'autre. Mais l'autre n'est pas autrement, il n'est pas altéré ; ce qui apparaît altéré, c'est la perception de la réalité de l'autre dans notre actualisation. Pour rétablir l'unité avec cette réalité, nous devons comprendre ce que signifie l'individualité.

Ce que nous appelons à juste titre "l’individualité" est couramment appelée socialement "personnalité". Le mot "personnalité" provient de per sonna, "qui sonne au travers", qui désignait le masque de théâtre à travers duquel l'acteur antique faisait résonner sa voix. Ainsi, dans cette pièce de théâtre de la vie, dans ce grand jeu universel, nous avons tous un rôle différent, l'individualité, mais participons tous de la même unité d’où proviennent tous les acteurs. Nous ne haïssons pas l’acteur qui a le rôle du méchant, pas plus que nous n'envions celui qui a le rôle du nanti, et tous jouent leur rôle du mieux qu'ils peuvent.

Nous pouvons voir certains jouer les orgueilleux. Combien il serait amusant de constater, si une intense compassion ne nous animait alors, le ridicule de la situation. Si nous sommes toujours prompts à déceler ce rôle chez les autres, nous ne le reconnaissons si peu lorsqu’il s’applique à nous-mêmes, alors que nous sommes tous semblables. En tant qu’individualités, nous sommes séparés du tout qui les compose, et nous en concevons inconsciemment un terrible sentiment d’exil, que nous n’avons de cesse de compenser en réintégrant l’unité de ce tout. La fusion de l’individualité avec sa contrepartie universelle est à l’image de toutes choses complémentaires qui cherchent à se réunir. Le fondement profond de la manifestation d’orgueil n’est rien d’autre que le désir pour l’individualité de s’identifier au tout, c’est à dire à quelque chose de plus grand, de supérieur. Le comprendre, c’est immédiatement résorber tout orgueil excessif, puisque par cette prise de conscience, une communion avec le tout, avec l’universel est instaurée. Mais ceux qui ne sont pas parvenus à cette compréhension n’ont que le moyen d’orgueil pour se réaliser, et ils méritent notre indulgence…
　
Pire encore, nous pouvons voir certains jouer les méchants. Là aussi, il nous faut comprendre. Il ne s’agit pas, si nous rencontrons au bout de la rue «une petite frappe», de l'embrasser ; nous devons simplement ne pas la haïr. Car la haïr, serait l'exclure de notre cœur, et l'exclure de notre intérieur, c'est l'inclure dans notre extérieur. Ce qui veut dire que cette rencontre, qui n'est nullement l'effet du hasard, devrait alors être rejouée dans la même scène du même acte dans un scénario cyclique, tant il est vrai que la manière d’expérimenter une situation à l'extérieur ne fait que refléter une condition en attente de résolution à l'intérieur .
Si ce n’est pas un hasard, pour nous, d’avoir rencontré cette "personne", ce n’est non plus un hasard, pour elle. Nous ne jouons pas dans deux scènes différentes, et nous avons un rôle pleinement à jouer vis à vis de cette personne, dans cette même pièce dont nous sommes pas spectateurs mais bien acteurs.

Bien entendu, il est normal de rechercher certains caractères plutôt que d'autres, en fonction de nos affinités ou de nos projets, mais lorsque nous rencontrons dans notre vie des individualités antithétiques, voire conflictuelles, qui nous remettent en question, moralement ou physiquement, nous devons réagir de la manière la plus appropriée, sans obligatoirement composer n’y rien abandonner de notre problématique individuelle, mais toujours sans jamais haïr.

D'ailleurs, admirons l’omnivalence du terme : l'individualité montre ce qui est individuel, mais aussi ce qui est indivisible, ce qui nous relie, ce que nous partageons tous en commun. Tous partis de l'unité, nous retournons à l'unité, et notre rôle à tous est identiquement le même ...
Lorsque nous réalisons cela, une injonction qui pouvait auparavant nous sembler aussi sublime que "aimez votre prochain comme vous-mêmes" ne devient alors plus qu’une banale évidence, qu’un truisme...

Je relirai de manière plus approfondie ... Cela me parle beaucoup, et c'est bien vu sous l'angle du GnoThi SeAuTon, le connais-toi toi-même de Socrate edito 2 : INDIVIS DUALITE Icon_smile

Même commentaire pour moi pour l'instant, il faudra que j'y revienne, quelque chose surtout m'a ouvert de nouveaux horizons edito 2 : INDIVIS DUALITE Icon_smile

. Au sujet de la célèbre inscription au fronton du temple de Delphes que l'on prête à Socrate, elle avait déjà été écrite sous des mots semblables par Héraclite (d'Ephèse) décédé un siécle avant, et on peut imaginer que la pensée qu'elle traduit précédait bien encore ce dernier edito 2 : INDIVIS DUALITE Icon_wink

voila une analyse qui me plait beaucoup sur la seconde année d'existence de notre forum...
de quoi alimenter notre réflexion à venir et nous permettre de continuer à évoluer dans le respect et la tolérance...
pour l'instant, je n'en retiendrai qu'une formule (dont je parlais la semaine dernière avec Nataly) : acceptons de nous respecter et de nous aimer "nous-mêmes" en premier...afin de pouvoir respecter et aimer "les autres."..
je pense que, tout au long de l'année à venir, nous aurons l'occasion de revenir et d'expérimenter sur tous les autres sages conseils dont notre cher Teliss a voulu nous faire profiter...
je vous souhaite à tous une merveilleuse troisième année sur ce forum!!!

Merci teliss pour ce vrai sujet de philo: baignés tout à la fois d'orgueil et d' humilité, qui sommes -nous en réalité Question

Peut-on atteindre le juste milieu Question

J 'aime bien (désolé d'avoir employé le je Very Happy

) le titre , et ton texte qui nous parle prête vraiment à la réflexion : je vais le relire attentivement et m'efforcer d'exprimer ma modeste opinion .(crise d'humilité Very Happy

)

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